MIS A JOUR LE 8 OCTOBRE 2017
Les entreprises grandes et moyennes (voir l’article précédent du blog “loi Sapin 2 :grandes entreprises et prévention de la corruption”) devaient mettre en place un programme de prévention de la corruption et du trafic d’influence au plus tard au 1er juin 2017 eu égard à l’éventualité d’un contrôle de l’agence nationale anti-corruption (“AFA”).
Un des volets majeurs de la loi Sapin 2 porte sur la création de l’AFA. Cette dernière a un statut hybride et est dotée de pouvoirs de recommandations, d’enquête, de transmission aux procureurs, de supervision et de sanctions administratives.
Un décret et son arrêté ont été publiés le 14 mars 2017 pour préciser l’organisation et les missions de l’AFA.
Une procédure de contrôle par l’AFA du dispositif anti-corruption d’une entreprise ( voir l’article précédent : “loi Sapin 2 : les huit piliers du programme de prévention“) peut être indépendante ou concomitante d’une enquête visant des allégations spécifiques de corruption ou de trafic d’influence par le Parquet national financier, ou la précéder ou encore en être le déclencheur.
Le directeur de l’AFA, Mr Charles Duchaine, a été officiellement nommé par décret du Président de la République en date du 17 mars 2017. Il avait annoncé fin 2016 [1] de manière rassurante que la priorité des chantiers de l’AFA serait la diffusion de recommandations générales aux opérateurs économiques, les contrôles intervenant dans un deuxième temps seulement.
Il laissait en revanche à entendre que les très grandes entreprises ou celles ayant des activités à l’étranger s’étaient déjà mises en ordre de marche, donc le lecteur averti comprendra qu’elles feront l’objet d’une moins grande mansuétude que les autres (pour mémoire, la prohibition en France de la corruption d’agents publics étrangers remonte déjà à plus de 16 ans, soit l’an 2000).
L’AFA disposant d’un budget limité, il est probable que l’AFA effectuera dans un premier temps, un contrôle ciblé de certaines grandes entreprises suite à un signalement des autorités et veillera à prononcer des sanctions exemplaires et dissuasives pour les autres. Sont en jeu la crédibilité de l’AFA et le déficit constant d’image éthique de la France ( au 23è rang seulement dans le récent classement 2016 de perception de la corruption par Transparency International)
En pratique, les premières enquêtes pour 2017 sont susceptibles d’être initiées à la lumière soit d’enquêtes en cours du Parquet national financier soit d’informations transmises par les autorités publiques chargées de la lutte contre le blanchiment d’argent (ex: TRACFIN), la fraude et l’évasion fiscale, voire d’autorités étrangères ou d’une révélation d’un lanceur d’alerte (voir l’article du blog :“loi Sapin 2 et les lanceurs d’alerte”) , d’un média ou d’une association anti-corruption agréée ou encore d’une dénonciation.
Si une entreprise peut se retrouver de manière exceptionnelle impliquée dans une affaire de corruption, le test sera de vérifier si les procédures mises en place par l’entreprise sont :
- adaptées au profil de risque de l’entreprise pour éviter un risque de corruption systémique, et
- effectivement appliquées par l’entreprise, par opposition à un programme de façade[2] , ce qui constituerait un facteur aggravant de la responsabilité des entreprises et de leur dirigeants aux yeux des régulateurs, des investisseurs et autres parties prenantes.
La capacité des entreprises concernées à centraliser la gestion (dont la documentation numérique) de toutes les actions de mise en oeuvre d’un programme anti-corruption par une fonction de conformité dotée de moyens réels sera un investissement (et non un coût) essentiel pour pouvoir répondre avec efficacité et célérité aux attentes de l’AFA et éviter des suites nuisibles au minimum à la réputation de l’entreprise.
L’AFA a dorénavant un site Internet accessible au public.
A) L’AFA : une agence au statut hybride
“Le roi est mort, vive le roi”: l’AFA est le successeur du Service Central de Prévention de la Corruption (“SCPC”) créé par la première loi Sapin de 1993 mais dont les ressources et prérogatives étaient fort limitées.
L’AFA est un service à compétence nationale placé auprès des ministres chargés de la justice et du budget (double tutelle comme l’AGRASC[3]).
L’AFA n’est donc pas une autorité administrative indépendante (“AAI”) comme l’Autorité de la Concurrence, l’AMF, l’ACPR ou la CNIL.
Son périmètre d’intervention très large couvre différents types de manquements à l’intégrité dans les secteurs public et privé : il s’agit des incriminations suivantes :
- Corruption active ou passive[4],
- trafic d’influence[5],
- concussion[6],
- prise illégale d’intérêts[7]
- détournement de fonds publics[8], et
- favoritisme[9].
Selon le gouvernement, les effectifs de l’agence compteront 70 personnes environ et son budget annuel serait compris entre 10 et 15 millions d’euros. Ce budget reflète les priorités ou contraintes budgétaires de la France en comparaison du budget au moins trois fois supérieur du Serious Fraud Office au Royaume-uni[10].
Le budget de démarrage de l’AFA mérite aussi d’être comparé avec celui de la CNIL (16, 5 millions d’Euro en 2014) ou de l’Autorité de la concurrence (dépenses de 19,4 millions d’euro en 2014 mais des recettes pour le budget public aux environs d’un milliard d’euro ) bien qu’il s’agisse d’autorités administratives indépendantes[11].
La nomination au poste sensible de directeur de l’AFA: le gouvernement avait nommé dès le 10 novembre 2016, Mr Charles DUCHAINE [12] pour piloter une “mission de préfiguration”, à savoir pour préparer le démarrage de l’AFA dans l’attente des décrets d’application de la loi Sapin 2. Mr Duchaine a été confirmé comme le directeur de l’AFA par un décret le 17 mars 2017.
La création officielle de l’AFA dépendait de la parution de son décret d’application, prévue au plus tard pour mars 2017. C’est chose faite depuis un décret et son arrêté qui ont été publiés le 14 mars 2017.
La composition des membres de la commission des membres de la commission des sanctions de l’AFA est désormais connue, la liste ayant été publiée dans un décret du 28 juillet 2017.
B) Quelles sont les attributions de l’AFA ?
L’AFA a de multiples attributions:
- rôle de représentation et de coordination de la France auprès des organisations internationales et de centralisation administrative pour la prévention et la détection des infractions ;
- rôle “normatif” de publication au JO d’avis, soit de lignes directrices pour les personnes morales publiques et privées (adaptées à la taille de l’organisation et à la nature des risques) ;
Les lignes directrices de mars 2015 du SCPC[13] feront donc l’objet d’une refonte par l’AFA.
L’Agence française anticorruption a lancé, à partir du jeudi 5 octobre 2017, une consultation publique relative au projet de recommandations sur la prévention et la détection des manquements au devoir de probité (corruption, trafic d’influence, concussion, prise illégale d’intérêt, détournement de fonds publics et favoritisme).
Chacun peut communiquer ses observations à l’AFA sur les quatre projets suivants :
- la présentation des recommandations
- l’élaboration d’une cartographie des risques
- la mise en place d’un code de conduite anticorruption
- la mise en place d’un dispositif d’alerte interne
- rôle essentiel de contrôle de la qualité et de l’efficacité des procédures internes des personnes morales dans les secteurs public et privé ;
Bien qu’elle soit rattachée à la fois aux ministères de la Justice et des Finances, l’AFA bénéficie d’une autonomie fonctionnelle en ce qui concerne ce droit de contrôle de sa propre initiative ou sur demande d’autorités spécifiques (pas d’obligation de suivre les instructions de l’un des ministères de tutelle).
- Rôle de transmission au Parquet ou parquet financier d’infractions potentielles;
- Garant, à la demande du Premier ministre, du respect de la “loi de blocage” (loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères[14] );
NB : cette disposition vise l’hypothèse d’une obligation de communication d’informations par une société française ayant conclu une transaction pénale avec un régulateur étranger (le législateur français avait en tête le US DOJ).
Historiquement, le SCPC, prédécesseur de l’AFA, est déjà intervenu comme canal de transmission d’informations provenant de plusieurs sociétés françaises ayant conclu un “Deferred Prosecution Agreement” avec le DoJ.
- Diffusion publique d’un rapport d’activité annuel (à l’instar du SCPC)
- Supervision (“monitoring”) de l’exécution :
a) des peines complémentaires de mise en conformité prononcées par les juridictions répressives,
Outre les sanctions existantes (amendes, exclusion des marchés publics, etc..), la loi a créé une peine complémentaire de “mise en conformité” applicable aux personnes morales condamnées pour une atteinte à la probité, qui consiste en l’obligation de mettre en œuvre en leur sein des mesures de prévention et de détection des faits de corruption et de trafic d’influence.
Cette mise sous tutelle de l’entreprise par l’AFA ne vas pas obérer le budget public puisqu’elle se fera aux frais de l’entreprise, et elle ne pourra pas dépasser une durée maximale de cinq ans.
b) des plans de conformité mis à la charge des entreprises dans le cadre d’une transaction pénale (la “convention judiciaire d’intérêt public”).
L’AFA jouera ici un rôle similaire au US DOJ , à savoir la supervision des moniteurs désignés dans le cadre des DPA ou NPA conclus avec le DoJ (les moniteurs sont des consultants engagés par la société repentante mais approuvés par le DOJ et soumettant leurs rapports au DoJ) . Nous en reparlerons dans le prochain poste.
C) Pouvoirs de contrôle, de poursuites et de sanctions à l’encontre des entreprises
L’AFA peut procéder à des contrôles non seulement sur pièce mais aussi sur place dans les locaux de l’entreprise, y compris la conduite d’entretiens, par son personnel ou des experts mandatés.
L’AFA a donné des précisions sur le déroulement du contrôle :
“Il s’agit, comme la loi l’indique, de contrôles en deux phases, d’abord sur pièces et ensuite sur place qui, naturellement, respecteront le principe de la contradiction. L’agent de l’AFA habilité procède à des vérifications sur pièces avant de réaliser une visite sur place qui lui permettra de vérifier la qualité du dispositif de prévention mis en place et les conditions effectives de sa mise en oeuvre. Evidemment, l’Agence communique en temps utile à l’entité contrôlée toutes les précisions nécessaires sur les conditions et modalités de déroulement du contrôle.” (v. la Foire Aux Questions de l’AFA )
Notez que le délit d’entrave constaté lors d’une intervention des agents de l’AFA sera puni d’une amende de 30000 Euro.
A l’issue d’un contrôle, l’AFA remettra un rapport aux dirigeants de l’entreprise et aux autorités qui seraient à l’initiative dudit contrôle. Ce rapport contiendra des observations sur la qualité et l’efficacité des procédures anti-corruption et des recommandations éventuelles.
L’AFA peut prendre un certain nombre de mesures contre les entreprises suite à un contrôle de l’entreprise :
- Avertissement dans l’hypothèse où suite à un contrôle, l’AFA constaterait un manquement dans le programme anti-corruption de l’entreprise;
- Injonctions prises par la commission des sanctions : il est “recommandé” à l’entreprise de pallier des lacunes dans son programme anti-corruption dans un délai fixé par l’AFA mais ne pouvant excéder 3 ans;
- Sanctions administratives prises le cas échéant, par la commission des sanctions :
- jusqu’à un million d’euros maximum pour les sociétés,
- jusqu’à 200 000 € pour les personnes physiques (en l’occurrence, les mandataires sociaux de la société ou ceux de la holding française pour les groupes de sociétés, les délégations de pouvoirs seront ici inopérantes);
- Peine “infamante”de l’affichage public : la sanction d’injonction ou la sanction pécuniaire pourra donner lieu à des mesures de publicité imposées par l’AFA et aux frais de l’entreprise. Le préjudice “collatéral” (à savoir l’impact de réputation et commercial dommageable à l’entreprise) s’avérera bien supérieur au coût de l’amende.
En effet, les parties prenantes de l’entreprise (investisseurs, clients, salariés, ONG, media, etc….) demanderont des comptes à l’entreprise et conformément à la culture française depuis la Révolution, aux dirigeants pris en défaut.
- Information du Parquet en cas de détection d’infractions potentielles, ainsi qu’évoqué en préambule.
A SUIVRE : l’article suivant portera sur la transaction pénale “à la française”.
L’auteur exprime des vues strictement personnelles qui n’engagent pas les entreprises ou les organisations dont il est le représentant ou conseil. Il peut être joint par courriel à: iohanngrc@gmail.com
[1] http://www.actuel-direction-juridique.fr/content/agence-francaise-anti-corruption
[2] Référence au “paper program” selon la terminologie anglo-saxonne.
[3] http://www.justice.gouv.fr/justice-penale-11330/agrasc-12207/
[4] Le délit de corruption constitue en l’abus ou l’utilisation monnayée d’une fonction ou d’une influence, à des fins privées. La corruption passive est le fait pour un agent compétent d’accepter un avantage indu pour accomplir ou ne pas accomplir ses fonctions (article 432-11 du code pénal). La corruption active est le fait de proposer de rémunérer un agent compétent pour qu’il réalise ou ne réalise pas tel acte (article 433-1 du code pénal).
[5] Le délit de trafic d’influence trouve à s’appliquer dans le cadre d’une relation où une personne monnaye son influence sur une autorité publique à un tiers. Le trafic d’influence passif (article 432-11 du code pénal) réprime le fait de céder à des sollicitations de trafic d’influence tandis que le trafic d’influence actif (article 433-2 du code pénal) concerne la personne sollicitant un avantage en échange de son influence.
[6] Le délit de concussion (article 432-10 du code pénal) consiste à exiger ou à percevoir des sommes indues ou qui excèdent ce qui est dû.
[7] Le délit de prise illégale d’intérêt (article 432-12 du code pénal) réprime le fait de prendre ou de conserver un intérêt dans une entreprise ou une opération dont elle a la charge d’assurer l’administration, la surveillance ou encore le paiement.
[8] Le délit de détournement de fonds publics (articles 432-15 et 432-16 du code pénal) est constitué par le détournement ou la soustraction de biens ou de fonds publics.
[9] Le délit de favoritisme (article 432-14 du code pénal) sanctionne le fait de procurer un avantage injustifié à autrui en méconnaissance des dispositions relatives à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics ou les délégations de service public.
[10] Le budget annuel brut actuel du SFO est proche de GBP 46 millions : https://www.sfo.gov.uk/about-us/
[11] V. un rapport du Sénat de novembre 2015 sur les AAI : http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/redaction_multimedia/2015/2015-Infographie/LNS_SENAT_AAI_V2__3___3_.pdf
[12] Mr Duchaine était jusqu’alors le directeur général de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC). Il est bien connu du cercle des avocats pénalistes du fait de ses précédentes fonctions de juge d’instruction financier au TGI de Marseille.
[13] http://www.justice.gouv.fr/include_htm/pub/lignes_directrices.pdf
[14] V le texte de la loi de blocage et les sanctions pénales applicables: https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000501326
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