Loi Sapin 2: grandes entreprises et prévention de la corruption- Partie 3

Les entreprises concernées par l’obligation de mettre en place un programme de prévention de la corruption et du trafic d’influence en France et à l’étranger à compter du 1er juin 2016

(voir le premier article du blog : Loi Sapin 2 : un catalogue de mesures disparates mais progressistes -Partie 1)

Pour mémoire, les sociétés concernées sont celles qui atteignent les seuil légaux suivants de manière cumulative :

  • un chiffre d’affaires annuel supérieur à 100 millions d’euros, ET
  • un effectif d’au moins cinq cents salariés.

Il s’agira en pratique de sociétés commerciales mais aussi des entreprises publiques (sous la forme d’EPIC) qui ont des activités ou filiales à l’étranger.

Quel est le périmètre d’application de cette nouvelle obligation de vigilance aux groupes de sociétés ?

Dans les groupes de sociétés, les dirigeants de la société-mère doivent émettre des directives pour que les mesures et procédures anti-corruption internes s’appliquent non seulement à la holding (consolidant les comptes sociaux)  mais à l’ensemble des filiales ou sociétés qu’elle contrôle.

Un groupe ayant son siège social en France, dès lors que l’ensemble dépasse les seuils prévus en consolidé, doit faire appliquer son programme anti-corruption aux entités suivantes, indépendamment de leur localisation en France ou à l’étranger ou des seuils de chiffre d’affaires et d’effectif :

  •  ses filiales, à savoir les sociétés dont le groupe détient plus de 50% du capital,

          C’est l’exemple d’une joint-venture dont l’entreprise est l’actionnaire majoritaire.

  •  les sociétés sous son contrôle, à savoir les sociétés dont l’actionnaire détient moins de la moitié des actions ou parts sociales mais a le contrôle effectif [1]

          C’est l’exemple d’une joint-venture dont l’entreprise est l’actionnaire à 49% mais a le droit de nommer la           majorité du conseil d’administration ou des dirigeants ou encore a une majorité des droits de vote.

  • ses succursales (“établissements stables” sur le plan fiscal), bien qu’elles ne soient pas expressément mentionnées par la loi Sapin 2 (absence d’entité juridique distincte).

S’agissant d’une filiale ou société contrôlée satisfaisant aux critères de chiffre d’affaires et de personnel, elle sera réputée “conforme” à la condition que la société-mère puisse démontrer que son programme anti-corruption tel que mis en oeuvre répond aux standards requis par la loi Sapin 2 et s’applique à l’ensemble des filiales et sociétés contrôlées.

De même, la maison-mère étrangère ayant une filiale avec une activité significative en France, devra pourvoir démontrer que son programme de corruption au niveau groupe est bien appliqué par la filiale française et répond a minima aux standards Sapin 2.

Cette démonstration devrait être aisée pour les groupes français ou étrangers, dont le programme satisfait déjà de manière effective, les standards du US FCPA ou du UK Bribery Act (sous réserve des spécificités du droit français dont les filiales en France de groupes étrangers devront tenir compte pour adapter le code de conduite et le dispositif d’alerte interne).

Une gestion décentralisée du programme anti-corruption comporterait des risques élevés pour des groupes dont la culture d’intégrité n’a pas atteint un niveau de maturité suffisant ou dans un secteur industriel considéré à risque du fait de l’importance de la commande publique.

L’obligation de prévention ne s’étend pas aux prises de participations. Toutefois, il est recommandé aux investisseurs d’effectuer leurs diligences (“due diligence”) concernant toute acquisition ou participation à un tour de table pour gérer leur risque financier et de réputation même s’il n’est pas d’ordre pénal.

L’audit d’intégrité est devenu une bonne pratique (“best practices”) avant le closing d’une acquisition ou d’une prise de participation dans une entreprise existante ou nouvelle (“start-up”).

En d’autres termes, l’investisseur qui ferait l’impasse sur de telles diligences pourrait subir les foudres des parties prenantes (actionnaires, créanciers bancaires ou obligataires, média, ONG, etc..) si une affaire de corruption affectant la société-cible était exposée ultérieurement et aurait pu être détectée ou anticipée par un investisseur diligent.

 Des diligences incombant aux dirigeants de l’entreprise ou de la maison-mère

L’obligation de prévention et de détection de la corruption ou du trafic d’influence en France ou à l’étranger, incombe aux représentants légaux de l’entreprise, soit les présidents, les directeurs généraux, les gérants ou les membres du directoire selon la forme de la société (société anonyme, SARL, société par actions simplifiée, etc..)[2].

Pour les groupes français, les dirigeants de la maison-mère ont cette obligation de vigilance.

La mise en œuvre des procédures internes pourra faire l’objet d’un contrôle de l’Agence française anti-corruption et sous peine de sanction par sa commission des sanctions en cas de manquement.

Outre des recommandations, des sanctions pécuniaires peuvent en effet être prononcées[3] en cas d’absence ou insuffisance de programme anti-corruption:

  • amende d’un montant maximum d’un million d’euro pour la société ; et
  • amende d’un montant maximum de 200, 000 euro pour les mandataires sociaux.

La loi Sapin 2 aura également un impact sur les polices d’assurances spécifiques aux dirigeants et mandataires sociaux (“D&O insurance policy”). Les questionnaires vont inclure des questions spécifiques aux programmes de conformité. la réponse à ces questionnaires sera délicate pour des entreprises dont les standards actuels sont insuffisants.Or, le contenu de ces réponses aura une incidence sur les conditions d’indemnisation éventuelle des dirigeants dont la responsabilité serait recherchée ultérieurement.

Des délégations de pouvoirs éventuellement fragiles

Pour les groupes de sociétés, la responsabilité pénale pèsera in fine sur les épaules des dirigeants de la société-mère consolidant les comptes de ses filiales et sociétés contrôlées.

En règle générale, des délégations de pouvoirs sont organisées par la holding au profit des dirigeants des filiales pour d’une part, protéger la holding et ses dirigeants (et ses actionnaires) des risques de voir leur responsabilité engagée sur les plans civil et pénal du fait des activités opérationnelles et d’autre part,  faire assumer par les dirigeants des filiales certains pouvoirs et leur corollaire, des devoirs.

Or, la loi Sapin 2 affirmant la responsabilité des maisons-mères pour le déploiement du programme anti-corruption à l’ensemble du groupe de sociétés, il est probable que dans l’hypothèse d’une affaire de corruption impliquant une filiale et reflétant un programme de façade ou peu effectif, une délégation de pouvoirs sur le plan pénal par le directeur général du groupe au profit des dirigeants des filiales serait fort susceptible d’être contestée tant par l’agence anti-corruption que le Parquet (outre la responsabilité des représentants de la filiale et de la filiale pour corruption, le cas échéant).

En outre, les mandataires sociaux défaillants pourraient voir engager leur responsabilité civile par des tiers tels que les actionnaires.

A SUIVRE: le prochain article portera sur les huit piliers du programme de prévention de la corruption.

L’auteur exprime des vues strictement personnelles qui n’engagent pas les entreprises ou les organisations dont il est le représentant ou conseil. Il peut être joint par courriel à:  iohanngrc@gmail.com

 

[1] Voir les critères de la notion de contrôle de l’article L. 233-3 du code de commerce :

« I.- Toute personne, physique ou morale, est considérée, pour l’application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre :

1° Lorsqu’elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ;

2° Lorsqu’elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d’un accord conclu avec d’autres associés ou actionnaires et qui n’est pas contraire à l’intérêt de la société ;

3° Lorsqu’elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ;

4° Lorsqu’elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de cette société.

II.-Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu’elle dispose directement ou indirectement, d’une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu’aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne.

III.-Pour l’application des mêmes sections du présent chapitre, deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu’elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale. »

[2] Article 17. I de la loi Sapin 2

[3] Article 17.V de la loi Sapin 2. La commission des sanctions de l’Agence française anticorruption devra tenir compte, dans l’évaluation de la peine, de « la gravité des manquements constatés et […] la situation financière de la personne physique ou morale sanctionnée. »

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